3 juillet 2025

Éditorial de Pierre-Alexandre Blouin, président-directeur général de l’Association des détaillants en alimentation du Québec

Un monopole fait ce qu’il veut. Dans le cas de notre bien-aimée SAQ, à la fois principale concurrente dans le marché et partenaire imposée dans la commercialisation, c’est une relation pour le moins particulière. Souvent, ils donnent l’impression de ne pas comprendre le privilège dont ils disposent, comme lorsqu’ils décident de limiter l’espace pour les produits qui ne peuvent être écoulés que chez eux pour faire plus de place aux produits sans alcool. Ces produits sont déjà vendus par d’autres, ce qui ne procure aucun gain d’accessibilité, mais à quoi bon en laisser aux autres quand on est privilégié.

Nous avons nous-mêmes un petit privilège réglementaire, car les détaillants alimentaires peuvent vendre de la bière, du cidre et les vins prescrits par la Loi de la SAQ, ce que ne peuvent pas les commerces non alimentaires. Là s’arrête notre maigre privilège.

Plus privilégié, un restaurateur peut vendre des produits d’importation privée et des spiritueux, tandis que la fromagerie pourtant juste en face est, pour sa part, limitée au catalogue de l’épicier. La petite boutique bio, le dépanneur ou le boucher sur la rue commerciale ne peuvent pas offrir des produits différenciés ; ils ont le même portefeuille restreint à moins d’étirer l’esprit de leur permis. Certains combinent les rôles, en ajoutant quelques tables pour manger sur place, un comptoir pour emporter, une armoire de produits fins et voilà que l’épicier au sens de la loi est devenu restaurateur.

Il y a aussi des fleuristes/cavistes, de jolies boutiques tendance, où on se gratte la tête pour comprendre par quel tour de magie la RACJ leur octroie des permis de ventes d’alcool, alors que leur modèle d’affaires contourne l’esprit de la Loi. Qui dit privilège, dit aussi souvent iniquité.

Voici le dernier projet de la SAQ : l’ouverture de mini-Agences SAQ urbaines qui permettront dans les prochaines semaines à 6 commerces alimentaires de différentes tailles d’offrir une sélection restreinte de 30 produits actuellement réservés aux succursales. Nous saluons cette expérience pilote et nous espérons que la SAQ partagera ses constats de façon transparente avec l’ensemble de l’industrie. Faut-il rappeler que les Agences SAQ dans nos régions performent mieux que la SAQ, mieux que la restauration, mieux que la vente SAQ alimentation en épicerie ? Comme quoi une offre élargie d’alcool en combinaison avec des aliments est une solution qui plaît aux consommateurs québécois et aux finances publiques.

Nous nous questionnons sur le processus d’appel d’offres qui devrait suivre à l’automne puisque la SAQ envisage d’en ouvrir une centaine dans les municipalités du Québec, accentuant d’un même souffle l’iniquité entre détaillants avec ou sans mini-Agence dans un même secteur. Si l’expérience pilote est concluante, pourquoi ne pas faire honneur au traitement national si cher à la société d’État en permettant à l’ensemble des détaillants alimentaires d’élargir leur offre au bénéfice de tous les Québécois ?

Ajoutons dans l’équation la priorité du gouvernement Carney d’abolir les barrières interprovinciales, qui devrait entre autres, permettre de livrer directement au consommateur québécois des produits alcooliques qui ne peuvent même pas se retrouver sur les tablettes d’un détenteur de permis d’épicerie. Privilège quand tu nous tiens.

En 2014, la SAQ souhaitait ouvrir des succursales de type « shop in the shop » dans des commerces alimentaires. Le projet n’est certes pas le même, ni avec la même portée, mais les parallèles sont frappants. Je laisse le mot de la fin à mon prédécesseur, Florent Gravel, qui synthétise toujours très bien l’enjeu central de la position de la SAQ : 

« Aux gens de la SAQ nous disons ceci : ne poussez pas nos membres à se cannibaliser entre eux. Le commerce de détail est assez compétitif comme cela, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle concurrence émanant directement d’une société d’État. Nous avons toujours mis nos tablettes au service du consommateur que nous servons quotidiennement. Nous devons collectivement identifier comment mieux développer la catégorie des alcools dans notre réseau, pas au bénéfice exclusif de quelques privilégiés, mais bien de l’ensemble des points de vente pour mieux servir le consommateur québécois. »

Pour pouvoir porter un toast, il faut d’abord servir un verre à tout le monde.

Santé !

Pierre-Alexandre Blouin

Président-directeur général