Incursion en boucherie de détail : la relève

Octobre 2021

Collaboration spéciale de Josée Thibeault

Cinq heures du matin. La journée commence tôt pour les responsables des détaillants en boucherie au Québec. Ces travailleurs et travailleuses de l’aube attendent impatiemment l’arrivée de leur équipe de bouchers, bouchères et commis pour leur remettre la liste des tâches. Réceptionner la marchandise, connaître les spéciaux de la semaine, choisir, parer, couper, trancher et emballer les viandes et volailles sont quelques exemples de leur routine. Exercer la boucherie aujourd’hui, ce n’est pas seulement « faire de la table », un jargon utilisé pour signifier la production, c’est aussi offrir une valeur ajoutée aux produits, les fameux « prêts-à-cuire », tels que les rosettes, brochettes, saucisses, tournedos marinés, filets de porc et de dinde farcis.

Nicol Tremblay

C’est justement la diversification des tâches du métier qui a motivé Nicol Tremblay, 75 ans, ayant l’énergie de deux personnes, à passer à l’action et à s’inscrire au programme en boucherie de détail au Centre de formation professionnelle Jonquière. Il est l’un des rares de cet âge à retourner sur les bancs d’école. Depuis sa retraite, après 36 ans de services chez Hydro-Québec, sa femme et lui avaient l’habitude de réaliser des travaux communautaires à l’étranger en participant à des projets de coopération et de solidarité internationale. C’est la pandémie de COVID-19 qui les a obligés à rester au Québec l’an dernier. Après avoir repeint des écoles au Guatemala pendant dix ans, M. Tremblay a donc saisi l’occasion de troquer ses pinceaux contre des couteaux.

Stacey Patry-Côté

Le contexte de la COVID-19 a aussi amené Stacey Patry-Côté, originaire de Bécancour, à suivre la formation en boucherie de détail. Cette jeune femme de 23 ans au dynamisme contagieux a perdu son boulot de taxidermiste chez Bilodeau, à Normandin, au Lac-Saint-Jean. Cette entreprise, qui exporte ses produits dans plus de 27 pays, a subi une chute importante de son carnet de commandes, conduisant ainsi quelques employés au chômage. « J’me suis toujours dit: “Si jamais je retourne à l’école, c’est en boucherie.” Heureusement, la formation est payée, autant pour la partie théorique en classe qu’en milieu de stage », lance celle qui est déjà bien ancrée dans la région et qui a déjà étudié les techniques de santé animale et du milieu naturel à Saint-Félicien. L’une des conditions gagnantes repose sur la formule du programme : 900 heures rémunérées en classe et en entreprise, offertes en alternance travail-études, grâce à une collaboration avec l’Association des détaillants en alimentation du Québec. À la suite de cette formation étoffée, Mme Patry-Côté fait maintenant partie des 8000 bouchers et bouchères de détail répartis dans l’ensemble du Québec.

Amour et défis du métier

Selon les données 2018 publiées par Emploi-Québec, la profession de boucher est occupée à 85 % par des hommes. Faire partie de la minorité représente un défi en soi. « Malheureusement, les femmes qui travaillent dans des milieux à prédominance masculine doivent faire plus d’efforts pour obtenir la reconnaissance des pairs. Il y a de la sensibilisation à faire auprès de notre entourage pour changer les mentalités », déplore Mme Patry-Côté, qui subit à l’occasion des préjugés liés au genre. Pour M. Tremblay, qui a un problème d’audition, c’est plutôt d’apprendre et de travailler dans un environnement bruyant qui a été l’un de ses défis en classe et en stage. « Être boucher n’est pas un métier facile. D’entrée de jeu, tu travailles debout, de longues heures, dans le froid toute la semaine, les mains qui engourdissent en fin de journée. Le port du masque complique la communication avec la clientèle et je dois faire répéter les gens parfois puisque les lèvres sont cachées par le couvre-visage », raconte-t-il, lui qui a fait preuve de persévérance tout au long de son parcours scolaire en boucherie.

Malgré les difficultés rencontrées, c’est l’amour du métier, la satisfaction de réussir des coupes de qualité et le plaisir de rencontrer des gens qui font vibrer Nicol et Stacey. Dès son jeune âge, Mme Patry-Côté s’impliquait dans l’entreprise de ses grands-parents et répondait déjà au téléphone. Aujourd’hui, elle travaille au IGA Saint-Félicien et qualifie son service d’axé sur les besoins de sa clientèle : « J’aime conseiller, expliquer la différence entre deux morceaux. Si, par exemple, je n’ai plus de filet mignon dans mon comptoir, je vais proposer un T-bone [bifteck d’aloyau] ou un contre-filet ». Fils d’épicier et spécialiste connu à travers la province pour ses charcuteries, « des produits à la mode saguenéenne », l’un de leurs enseignants du programme, Jean-Yves Desmeules, 64 ans, a su leur transmettre sa passion, sa flamme et son expertise. Dans l’atelier pratique de la formation professionnelle, M. Tremblay se souvient très bien des questions lancées par son enseignant, mais particulièrement celle-ci : « L’achèterais-tu, toi, cette rosette? Rappelle-toi que nous achetons et que nous mangeons avec nos yeux! »

Avenir et perspectives

La rareté de main-d’œuvre qualifiée est un défi colossal pour l’ensemble du Québec et la boucherie de détail n’est pas épargnée par cette crise. Jean-Yves Desmeules estime qu’au moins une cinquantaine de bouchers et bouchères sont manquants au Saguenay–Lac-Saint-Jean depuis une dizaine d’années. La région compte près de 450 emplois dans le domaine. Certains retraités sont même rappelés au poste pour travailler les matinées et remplir les comptoirs des commerces régionaux. Il ajoute que la tranche des 40-60 ans, la génération entre les juniors et les seniors, se fait plus rare sur le marché du travail. « Parfois les marchands et détaillants, désespérés, me passent un coup de fil l’été pour les aider à dénicher du personnel », affirme-t-il, précisant à ses camarades qu’il n’est pas un chasseur de têtes! Bien qu’il y ait rareté de main-d’œuvre, cette situation crée un rapport de forces, valorise la profession et donne la chance aux nouveaux de gravir les échelons, leur permettant d’accéder à des postes avec plus de responsabilités plus rapidement.

Ayant complété le programme et son stage avec succès, Nicol Tremblay attend justement un appel de la charcuterie La Bastille, située à Alma, afin de reprendre les activités en boucherie à compter de juillet, à temps partiel. Pendant que Stacey Patry-Côté prend de l’expérience et combine deux emplois, chez IGA et dans un abattoir à Alma, elle rêve d’un jour avoir sa propre ferme avec ses animaux d’élevage, tels que des bœufs, des bisons et des cerfs rouges. Elle souhaite y aménager un abattoir et une salle de débitage sur place. Écolo dans l’âme, elle a aussi le souci de récupérer les
graisses animales pour sa production artisanale de confection de savons, une façon pour elle d’apporter sa créativité et sa sensibilité au métier. « J’aime l’idée de redonner du vivant à la mort et nous avons besoin de mort pour se sentir vivant », conclut-elle, sur une note philosophique et mystérieuse.

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