Éditorial de Michel Dépatie

Octobre 2023

Automne 2023

Cher monsieur Trudeau,

Je tenais à vous écrire parce que je ne comprends pas votre annonce de la mi-septembre et vos attentes par rapport aux cinq grands groupes du détail alimentaire (trois entreprises canadiennes et deux entreprises américaines), dont fait partie mon partenaire d’affaire Metro. Vous souhaitez des baisses de prix des aliments, ce qui est tout à fait souhaitable. En tant qu’épicier, je tiens à vous dire que je paie l’ensemble de mes produits plus cher qu’il y a un an, et ce, peu importe, si c’est Metro ou un autre fournisseur qui me les vend. L’inflation n’a échappé à personne dans le secteur bioalimentaire.  

Je vais vous résumer ça de façon très simple : ma rentabilité s’évapore même si le prix des aliments augmente. Les clients font des choix différents, ils réduisent la taille de leur panier, ils changent de gamme de produits quand ils ne changent pas tout simplement de commerces pour s’approvisionner. Comme je vends moins de produits par client et que mes marges n’ont pas augmenté, je fais moins de profits. 

C’est la même chose pour la vaste majorité des propriétaires d’épiceries, de dépanneurs, de boucheries, de restaurants et autres commerces du secteur alimentaire. C’est aussi le cas pour les autres maillons de la chaîne : la transformation alimentaire, la production agricole, les entreprises de transport et les distributeurs. L’ensemble du secteur bioalimentaire est directement impacté par l’inflation.  

Les frais d’exploitation ont grandement augmenté et rien n’indique pour l’instant qu’ils vont diminuer. Je parle des achats, des fournitures, de la main-d’œuvre, des équipements, des loyers, de l’énergie, du vol, des frais de transaction et ne l’oublions pas, les intérêts sur nos prêts. Je ne connais aucune institution bancaire qui a consenti de répit aux clients personnels ou commerciaux. 

Tous les intervenants ne sont pas égaux dans le marché actuel. Si les grands détaillants se conforment à votre directive, les plus petits détaillants alimentaires, notamment mes collègues indépendants, n’auront d’autre choix que d’absorber les baisses de prix ou de devenir encore plus marginaux dans le marché. Un enjeu qui a été souligné dans le plus récent rapport récent du Bureau de la concurrence.  

Ces commerçants n’ont aucune marge de négociation auprès des principaux fournisseurs alimentaires. Leurs coûts d’approvisionnement sont souvent supérieurs aux prix des plus grands escompteurs. Ces forces du marché incitent tous les joueurs à s’approvisionner davantage à des sources étrangères, ce qui n’augure rien de bon pour l’économie canadienne. 

L’inflation alimentaire a en effet de multiples répercussions néfastes sur le pouvoir d’achat des Canadiens, mais pour la combattre efficacement il faut s’attaquer aux problèmes à la source. Des surcoûts se sont accumulés partout dans la chaîne alimentaire et ils font enfler le prix de chaque produit au fil des échelons. Comme le restaurateur, je suis le dernier maillon, celui qui a l’odieux de transmettre aux clients la combinaison de tous les coûts additionnels. 

Si vous souhaitez diminuer la pression sur les prix des aliments de façon durable, je vous propose bien humblement de réfléchir à la mise en place d’un grand chantier national sur la productivité du secteur agroalimentaire canadien. Je suis certain que vous aurez l’appui du Gouvernement du Québec qui en a déjà fait une priorité. Il faudra que votre gouvernement appuie financièrement la filière bioalimentaire pour réduire ses coûts d’opération, ce qui aura un impact direct sur les prix en fin de parcours.  

La porte de mon magasin vous est toujours ouverte pour discuter de l’inflation et de ses répercussions sur mon secteur d’activité, mais je doute malheureusement que vous soyez intéressé à la réalité du terrain, loin des flashs des caméras.

Michel Dépatie

Propriétaire du Metro Plus Dépatie

Président de l’ADA

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