Le monde navigue les vagues de la COVID-19 : Le point de vue de détaillants internationaux

Décembre 2020

Alors que nous approchons de la fin de l’année 2020, on peut dire que celle-ci aura perturbé l’habitude des opérations de l’industrie alimentaire. Pas seulement au Québec, mais partout sur la scène internationale. La pandémie mondiale de la COVID-19 aura des effets à long terme sur notre industrie. On peut penser aux mesures sanitaires, qui ne partiront pas de sitôt. Ou bien à la gestion des inventaires et des approvisionnements auprès de nos partenaires. Il y a aussi un certain ajustement technologique, alors que la demande pour l’épicerie en ligne a explosé, particulièrement lors du grand confinement général. Nous avons discuté avec des détaillants indépendants hors Québec afin d’avoir leurs perspectives de l’impact du coronavirus sur leurs opérations et sur certains enjeux locaux qui diffèrent de notre situation. Voici le portrait de leurs situations.

Newmarket, Ontario, Canada

Entrevue avec Giancarlo Trimarchi

Vince’s Market est une petite chaîne d’épiceries indépendante et familiale qui opère cinq magasins nord de Toronto. Acquise par Carmen Trimarchi en 1986, l’entreprise est dirigée par celui-ci et son fils, Giancarlo. Dans le cadre de notre court reportage, nous avons eu la chance d’échanger avec Giancarlo sur l’impact de la COVID-19 sur les opérations de leurs succursales.

Comme partout ailleurs, une différence a immédiatement frappé les opérations dès les premiers jours de la pandémie. « D’abord, nous avons constaté une hausse majeure de nos ventes. Nous devions ajuster rapidement nos commandes pour nous assurer d’un approvisionnement dans un délai raisonnable », nous explique Giancarlo, en plus de prendre le temps de rassurer les employés, plutôt inquiets quant à cette nouvelle menace inconnue. C’était beaucoup de changements à faire en très peu de temps. Selon M. Trimarchi, en l’espace de deux semaines, ils ont pratiquement entièrement changé leurs façons d’opérer.

Pour Giancarlo, le fait d’opérer des magasins indépendants et plus petits a eu un effet bénéfique sur la gestion de la crise. Il était plus facile pour eux d’établir un lien de confiance avec les consommateurs, en plus d’instaurer rapidement les mesures sanitaires nécessaires. Un autre élément important, c’était la communication ouverte avec les employés. Dès les premiers jours de la pandémie, « il était important d’avoir des communications régulières, même quotidiennes, avec nos équipes. Si nous n’avions pas fait cela, les chances que nos équipes restent et continuent de travailler auraient été plus difficiles. Même moi, je ne suis pas certain que je serais resté sans transparence à leur place ».

Forte demande pour le commerce en ligne

Le commerce en ligne a aussi été un élément important dans leur stratégie des opérations. Avec chance, l’entreprise venait de signer un contrat avec une plateforme de commerce en ligne au début du mois de mars, quelques jours avant que la crise prenne les proportions que nous avons connues au
Canada. Avant cela, pendant plus de trente ans, il y avait un service de commandes au téléphone, mais celui-ci était plutôt restreint. Lorsque le confinement a commencé en Ontario, des équipes ont dû être mises sur pied afin de répondre à la demande grandissante des commandes en ligne et téléphoniques. « Sur une période de 14 jours, à la fin mars et début avril (avec Pâques), nous avons procédé à plus de 1300 commandes », nous affirme-t-il. Malgré que le nombre de commandes reste quand même élevé comparativement à avant la pandémie, celui-ci s’est stabilisé à environ 250 par semaine. Enfin, Giancarlo est relativement satisfait de la réponse gouvernementale en Ontario. Il s’estime chanceux que les épiceries aient été considérées comme un service essentiel afin de continuer à opérer pendant le plus fort de la crise. Il a toutefois une pensée pour les travailleurs de la restauration, qui ont vécu une situation complètement différente.

Bend, Oregon, États-Unis

Entrevue avec Lauren Johnson

Vers la fin du mois de janvier, le premier cas de COVID-19 en Amérique du Nord a été recensé à Seattle, dans l’État de Washington. À partir de ce moment, la côte ouest américaine et l’Ouest canadien étaient sur un pied d’alerte. Ce fut particulièrement le cas dans cet État voisin de l’Oregon.

Nous avons pu discuter avec Lauren Johnson, présidente de Newport Avenue Market, un magasin à Bend, dans l’Oregon central, à un peu plus de trois heures de route de Portland. L’entreprise détient aussi deux plus petits commerces sous l’enseigne Oliver Lemon’s. Les trois commerces sont entièrement détenus par les employés, les seuls à utiliser ce modèle d’affaires en Oregon central.

Dès la fin février, la situation évoluait rapidement de jour en jour. La pandémie continuait de s’accroître dans l’ouest de l’Amérique et des mesures commençaient à être mises en place. Les magasins de Mme Johnson ont été réaménagés afin de respecter la distanciation physique, les comptoirs libre-service ont été fermés et les mesures sanitaires ont rapidement augmenté. « Aux 30 minutes, une annonce était faite à l’intercom pour rappeler aux employés de se laver les mains à nouveau, nous explique Lauren. Nous profitions aussi de l’occasion pour rappeler les consignes aux clients. » Depuis le mois d’avril, les employés de l’entreprise doivent porter un masque en travaillant. En juillet, la gouverneure de l’état, Kate Brown, a rendu le port du masque obligatoire à l’intérieur pour toute personne âgée de plus de 5 ans.

L’enjeu des armes à feu

L’Oregon est un État américain où il est permis porter une arme à feu visible sur soi, principalement à la taille. Cela n’était pas un enjeu avant la pandémie, selon Lauren, alors qu’il n’était pas problématique pour eux que les clients portent leur arme en faisant leur épicerie. Par contre, cela est devenu un problème avec l’imposition du port du masque dans la société. « Dans l’un de nos plus petits magasins, à Terrebonne, nous avons eu un client qui s’est présenté et refusait de le porter [le masque] quand un employé le lui a demandé, affirme-telle. Celui-ci a pointé son arme à la ceinture et a menacé l’employé en question. Depuis, nous avons engagé de la sécurité pour enlever ce stress à nos employés. » Heureusement, cela reste un cas isolé et maintenant que le port du masque est en place depuis quelque temps, les clients se sont habitués et ne causent plus vraiment de problèmes.

Comme au Québec, le gouvernement de l’État a annoncé que des amendes seront distribuées aux commerces qui ne respectent pas les consignes sanitaires en place. Celles-ci peuvent commencer à une dizaine de dollars et se rendre jusqu’à plusieurs milliers de dollars. Par contre, aucune sanction n’est mise sur les consommateurs, une situation injuste et dénoncée sur les réseaux sociaux. Cette situation était la même au Québec jusqu’au 10 septembre dernier, alors que le premier ministre François Legault a annoncé que des amendes seraient distribuées aux individus réfractaires.

Enfin, lorsque nous avons discuté des changements à long terme qu’aura la COVID-19 sur l’industrie alimentaire, Lauren ne croit pas que nous allons revoir les comptoirs libre-service comme les bars à salade, du moins pas dans un futur proche. Plusieurs mesures sanitaires resteront aussi en place pour encore longtemps.

Melbourne, Victoria, Australie

Entrevue avec Richard Konarik

Comme le Québec, l’État de Victoria en Australie a été le plus durement touché par la propagation de la COVID-19. La métropole de l’État et deuxième plus grande ville du pays, Melbourne, est particulièrement affectée par le coronavirus. Richard Konarik est propriétaire de la petite épicerie indépendante Frederick Richmond, située au coeur de Melbourne. Ce détaillant est presque entièrement dédié à la vente de produits locaux, alors que 95 % de ceux-ci viennent d’Australie. De plus, une importance est accordée au plus petits fournisseurs.

Les premiers cas de COVID-19 sont apparus à la fin janvier au pays, mais les choses ont escaladé à partir du mois de mars. L’Australie a aussi été placée en confinement et la population devait rester à la maison, sauf pour les besoins essentiels. Richard nous expliquait que les ventes on fortement augmenté pour son épicerie et que les mesures sanitaires nécessaires ont rapidement été instaurées.

À l’entrée du magasin, un thermomètre a été installé au-dessus du distributeur de désinfectant afin de prendre la température des clients. Le port du masque est maintenant obligatoire, mais la protection oculaire ne fait pas partie des mesures mises en place par le gouvernement australien.

Comme au Québec, la folie du papier de toilette a aussi été le signal de départ de la pandémie à Melbourne. La population s’est rapidement présentée dans les commerces afin de faire le plein de provisions. « Dans les premiers jours de la pandémie [en Australie], nous n’avions même pas le temps de placer les items sur les tablettes, car les clients vidaient le contenu de la palette très rapidement », nous explique Richard.

Avec le temps, il était plus difficile de trouver certains produits. À ce jour, la farine reste un produit que les habitants continuent d’acheter en grande quantité. D’après les explications de M. Konarik, il vend 12 fois plus de farine présentement qu’à pareille date l’année dernière. La pandémie a aussi encouragé le développement de nouveaux partenariats d’affaires. « Devant le manque de disponibilité de certains produits, nous vendons maintenant des produits que nous n’avions pas avant, affirme Richard. Nous nous concentrons sur les produits les plus vendeurs. » La fréquence des livraisons de leurs commandes a été réduite, passant de 4 fois par semaine en temps normal à 2 fois par semaine maintenant.

Alors que l’utilisation des cartes de crédit ou de débit est fortement suggérée au Canada, elle est devenue une obligation en Australie, alors qu’une interdiction d’utiliser de l’argent comptant est en vigueur présentement. Alors qu’il a assurément une hausse des dépenses liées aux frais de crédit, cela n’est pas un enjeu comme nous le connaissons ici. Même que pour Richard, cela comporte plusieurs avantages, dont la simplification du balancement des caisses.

La deuxième vague est en cours

En août, alors que l’Australie semblait avoir le contrôle sur les éclosions de COVID-19, l’État de Victoria connaît une forte hausse de nouveaux cas du coronavirus, confirmant que la seconde vague est bien enclenchée. Le nombre de nouvelles infections atteint des niveaux plus élevés que lors de la première vague à Melbourne. Pour y faire face, le gouvernement de Victoria a imposé un nouveau confinement plus sévère pour les habitants de Melbourne. Celui-ci passe d’un niveau 3, comme c’était le cas en mars, à un niveau 4.

De nouvelles mesures ont été mises en place dès le 2 août. Cela signifie qu’un couvre-feu doit être respecté par les Melbourniens. Ils ne sont pas autorisés à quitter leur domicile entre 20 h et 5 h. De plus, il est interdit de s’éloigner à plus de 5 km2 de son domicile et les sorties doivent être limitées aux besoins essentiels. Cela implique aussi que le déplacement entre les régions est interdit. Il est important de noter que les mesures imposées à Melbourne sont beaucoup plus sévères que ce que nous connaissons au Québec, malgré un niveau d’infection moins élevé que dans la Belle Province.

Ce nouveau confinement apporte son lot de nouvelles problématiques pour les détaillants. Richard nous expliquait que cela crée un problème de main-d’oeuvre pour lui. « Depuis le déclenchement de la seconde vague, cinq employés ont dû s’isoler, car ils présentaient des symptômes s’apparentant à la COVID-19. Ils doivent attendre les résultats de leurs tests. » Puisque les déplacements sont limités, il a dû écrire une lettre à ses employés qu’ils doivent présenter aux autorités lorsqu’ils veulent se rendre au travail. Sans lettre, les employés ne peuvent pas se rendre au travail.

Avec le couvre-feu, des ajustements ont dû être apportés aux heures d’ouverture. Le commerce ferme maintenant à 19 h. Cela donne le temps à l’équipe en place de fermer le magasin et de retourner à la maison avant 20h.

Le 27 septembre dernier, le premier ministre de Victoria, Daniel Andrews, a annoncé des changements dans les mesures de confinement de niveau 4 à Melbourne. M. Andrews a annoncé la fin du couvre-feu mis en place au mois d’août, mais des amendes plus salées sont maintenant en vigueur. Au moment d’écrire ces lignes, malgré la grogne de la population, le premier ministre refusait de lever les autres mesures de confinement, même si certains allègements seraient annoncés d’ici la fin octobre.

Bay Roberts, Terre-Neuve-et-Labrador, Canada

Entrevue avec Erin Higdon

L’Atlantic Grocery Distributors (AGD) est basé à Bay Roberts, situé à environ une heure de route de Saint John’s, sur l’île de Terre-Neuve. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec Erin Higdon, la vice-présidente en stratégie commerciale pour l’entreprise. Leurs opérations sont divisées en deux volets. D’une part, ils sont le plus grand distributeur alimentaire indépendant de la province, desservant tout le territoire. Cette partie de l’entreprise s’occupe à la fois de la vente commerciale pour des détaillants indépendants, mais aussi des services alimentaires dans les hôpitaux et les hôtels par exemple. D’un autre côté, l’AGD opère également les deux épiceries indépendantes Powell’s Supermarket dans l’est de Terre-Neuve.

Lorsque la pandémie a commencé à frapper certaines parties du Canada à la mi-mars, l’entreprise de Terre-Neuve a eu la chance de voir l’impact du coronavirus ailleurs au pays pour ajuster ses opérations avant que la province ne déclenche l’état d’urgence sanitaire. Erin nous expliquait que les mesures sanitaires exigées ont rapidement été mises en place au sein de l’entreprise, que ce soit les plexiglas ou les différents équipements de protection individuelle.

Par contre, la pandémie a eu des répercussions opposées sur les deux branches de l’entreprise. Du point de vue du service alimentaire, le coronavirus a eu un effet négatif sur les opérations, alors que les hôtels et les écoles étaient fermés et ne nécessitaient plus de services alimentaires. Par contre, la vente au détail et leurs épiceries ont connu une forte hausse de l’achalandage, particulièrement lors du mouvement de panique dans les premiers jours de la pandémie.

Dans les débuts de la pandémie, le système de commerce en ligne était encore nouveau pour l’entreprise. La hausse de l’achalandage s’est rapidement fait sentir, forçant l’AGD à agir rapidement dans l’évolution de ses commerces en ligne. « En peu de temps, nous avons dû changer nos façons de faire, affirme Erin. Nos ressources ont dû être mobilisées et nous avons rapidement ajouté des équipes pour couvrir la très forte demande pour les commandes en ligne. » En plus d’offrir à la clientèle la livraison, un système de « click and collect » a été offert aux consommateurs, leur permettant de passer leurs commandes de la maison et de venir les récupérer dans le stationnement de l’épicerie.

Les milieux ruraux dépendent de nous pour leur sécurité alimentaire, car ils sont mal desservis par les grandes bannières. Devant la hausse de la demande pour plusieurs produits, il était primordial d’assurer que nous obtenions notre juste part comme entreprise indépendante. Nous devions être en mesure de continuer d’approvisionner nos communautés autochtones et toutes les communautés vulnérables.

Erin Higdon

L’importance du bien collectif

Lors de notre entretien, il était clair que l’esprit d’entraide et la résilience des Terre-Neuviens et des Labradoriens sont des valeurs importantes dans la communauté. Pour Erin, cet esprit collectif a été un élément bénéfique à la gestion de la crise dans la province. En tant que fournisseur principal pour les épiceries indépendantes, majoritairement en milieu rural et dans les communautés autochtones, il était important pour l’entreprise d’assurer l’approvisionnement alimentaire à la population.

Même avant la pandémie, les habitants de Terre-Neuve faisaient face à des enjeux uniques par le fait d’habiter sur une île. Selon Mme Higdon, la pandémie apporte son lot de nouveaux défis, mais la population est habituée à faire face à différents problèmes et est très résiliente lorsqu’il est question de les affronter.

À ce jour, Terre-Neuve-et-Labrador reste l’une des provinces ayant eu le moins de cas de COVID-19 au pays. Au moment d’écrire ces lignes, peu de cas actifs du coronavirus étaient
recensés dans la population.

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