Deux grandes solitudes à rapprocher

Avril 2024

Éditorial

La colère gronde dans les régions rurales du Québec. Frappé par la hausse en flèche des coûts des intrants, l’augmentation des taux d’intérêt, l’introduction de nouvelles réglementations, des écofrais et les aléas d’une météo bouleversée par les changements climatiques, le revenu net agricole des producteurs québécois chuterait de plus de 86,5 % cette année selon les calculs d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC)

Dans les dernières semaines, on a commencé à voir des manifestations dans le centre-ville de différents centres régionaux. On est toutefois loin des blocus et barricades vécues en France. L’UPA qui encadre le tout souhaite que ces manifestations demeurent ordonnées. Alors que des producteurs jettent l’éponge, que d’autres craignent de devoir en faire autant, pourquoi s’évertuer à produire des denrées alimentaires essentielles si c’est pour le faire pratiquement pour rien ou pire, à perte ?

Je sais que vous êtes nombreux à très bien comprendre les effets des constantes pressions à la hausse sur les intrants et les salaires lorsque les ventes ne suivent pas la même courbe. Les similitudes dépassent le simple fait que de nombreuses entreprises des secteurs de l’agriculture et de l’alimentation sont de propriété familiale depuis des générations. Ce n’est pas mon intention de comparer les récoltes invendables noyées dans les champs et la situation d’un détaillant alimentaire censé nager dans les profits ahurissants.

Bien que pour la première fois depuis octobre 2021, l’augmentation des prix dans les épiceries (2,4 %) a été moins prononcée que celle de l’inflation en général (2,8 %) au cours du mois de février 2024, les effets de l’inflation sont tenaces sur les consommateurs. Ils veulent couper dans les dépenses alimentaires et changent leurs habitudes d’achat en votant avec leur panier. Ils cherchent davantage les rabais, substituent des marques de produits, choisissent une gamme de produits moins dispendieux, quand ils ne désertent pas tout simplement certains réseaux.

Il y a une foule de réalités agricoles différentes, de nombreux producteurs sont sous gestion de l’offre ou en mise en marché collective, mais pas tous. Plusieurs de leurs produits se retrouvent sur vos rayons sous une marque connue à l’échelle nationale, d’autres s’y trouvent de façon plus sporadique en saison, mais certains ne veulent pas du tout pour le moment de notre réseau, mettant tous leurs œufs dans d’autres canaux de commercialisation.

Plutôt que de lancer la pierre, je crois que les détaillants-propriétaires doivent devenir de meilleurs entrepreneurs, de meilleurs partenaires, de meilleurs ambassadeurs du fait local. Les producteurs ont certainement beaucoup à nous apprendre et ils ont beaucoup à apprendre de notre expertise en commercialisation.

On ne peut pas changer le contexte économique, mais on peut certainement rapprocher nos grandes solitudes. Pour manger mieux et plus localement, ça nécessite des politiques, mais il faut avant tout laisser tomber nos préjugés respectifs.

Pierre-Alexandre Blouin

Président-directeur général

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