Légalisation du cannabis : un débat émotif
Novembre 2017
Le 16 novembre, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Mme Lucie Charlebois, a déposé le projet de loi 157 sur l’encadrement du cannabis au Québec. Rappelons que le gouvernement fédéral a délégué la responsabilité aux provinces d’organiser, entre autres, les règles entourant la production, la distribution, la vente au détail ainsi que la prévention en matière de santé publique, et de sortir enfin le cannabis de la rue.
Le projet de loi a été favorablement accueilli par les députés des différentes formations politiques et fait désormais l’objet de consultations particulières jusqu’à la mi-janvier. Plus d’une cinquantaine d’organisations ont été convoquées, la plupart dans le domaine de la santé publique, mais une seule ayant une expertise en commercialisation : la SAQ.
Après avoir participé aux consultations régionales organisées en septembre dernier, l’ADA déplore que plusieurs représentants du secteur privé oeuvrant dans le domaine de la distribution et de la vente au détail aient été d’emblée exclus des discussions avec les parlementaires. Notons que la SAQ entretient des relations d’affaires pour le moins ambiguës avec ses partenaires et dont l’efficacité et la transparence sont régulièrement remises en question. Espérons que ce que ne soit pas le cas de la future Société Québécoise du Canabis (SQC).
Plusieurs interrogations subsistent à la lecture du projet de loi. En effet, bien que nous puissions comprendre certaines craintes soulevées par la privatisation de la vente de ce produit psychotrope (notamment aux abords d’établissements scolaires ou d’autres institutions), rien ne permet d’affirmer qu’un monopole d’État avec si peu de points de vente constitue la solution pour sortir le cannabis de la rue, et tout particulièrement en région. Le gouvernement propose que le commerce en ligne se substitue au manque de points de vente, mais là encore, un peu de rigueur intellectuelle s’impose. Les autorités n’arrivent déjà pas à encadrer correctement le commerce en ligne de produits alimentaires, mais arriveraient à livrer du pot sans difficultés, avec tous les contrôles qui s’imposent? Le fait est que les consommateurs optent généralement pour la facilité, ce qui n’apparaît pas si évident derrière l’idée du commerce en ligne.
De plus, il existe une certaine incohérence à ce que la SAQ fasse la promotion de l’alcool à grande échelle par l’entremise de slogans accrocheurs et la fidélisation des clients, au risque de banaliser une consommation jugée excessive par les professionnels de la santé publique, alors que le cannabis, consommé actuellement par un Canadien sur quatre, sera mis en marché par une filiale de la SAQ qui a pour objectif de générer de l’argent dédié à des activités, des programmes et des soins liés au cannabis. Nous demeurons perplexes face à cette situation ambivalente, qui laisse croire que la morale l’a emporté sur le pragmatisme. Rappelons que les détaillants en alimentation vendent des produits hautement règlementés comme l’alcool, le tabac ou les loteries, pour lesquels ils sont rigoureusement contrôlés. La détention d’un permis de vente privé est un privilège qui vient avec des responsabilités. Nous respectons les lois en vigueur et nos opérations sont scrutées à la lettre et constamment à risque de sanctions.
Le projet de loi décrit en détails les multiples amendes et sanctions prévues alors qu’il fait pratiquement abstraction des détails de la commercialisation ou encore de la forme des projets pilotes qui devront être mis en place. Le gouvernement ouvre-t-il la porte au privé? Nul ne le sait. Cependant, il est clair que les amendes prévues en cas d’infractions aux différentes dispositions du projet de loi décourageront sans l’ombre d’un doute les plus valeureux défenseurs de la légalisation de la marijuana. À cet égard, les détaillants en alimentation qui possèdent un endroit où il est possible de se reposer et de consommer des produits peuvent être soumis à des amendes pouvant s’élever à 2 250 $, montant systématiquement doublé en cas de récidive. C’est d’ailleurs l’une des particularités de ce projet de loi : les montants des amendes atteignent des sommets (500 000 $ pour certaines infractions, un million en cas de récidive)!
Enfin, il est dommage de constater que la mise en place d’une filière québécoise du cannabis, de la production à la vente au détail n’ait pas été envisagée. À partir du 1er juillet, les Québécois pourront se procurer du pot d’autres provinces ou d’autres pays. Quitte à avoir les inconvénients, pourquoi ne pas structurer une filière qui permettrait de dégager des bénéfices pour les régions et les différents partenaires? L’ADA était la seule organisation à proposer cette idée en septembre, idée qui a depuis fait du chemin parmi les organisations agricoles. Nous sommes conscients de la complexité à mettre en place un projet de loi suffisamment équilibré pour protéger la santé publique tout en réduisant l’influence du commerce illicite, mais à la lecture du texte, nous avons l’impression que les réponses proposées ne règleront pas les problématiques actuelles et qu’elles nécessiteraient un véritable
débat public, avec calme et pragmatisme. Nous demeurons ouverts à y participer.