Frais d’interchange de cartes de crédit
Juillet 2024
Perspective des États-Unis
Par Greg Ferrara PDG, National Grocers Association (NGA)
Une perspective transfrontalière sur les commissions d’interchange : deux pays, mêmes défis
Alors que les familles se préparent pour les vacances d’été, tant aux États-Unis qu’au Canada, nombreuses
sont celles qui ressentent les tensions financières liées aux produits de première nécessité, y compris les
achats de nourriture. Un facteur important, mais souvent négligé, est le montant exorbitant des commissions d’interchange, également connus sous le nom de frais d’utilisation de carte de crédit, que les détaillants doivent payer pour traiter les transactions.
Ces frais ne sont pas qu’un désagrément saisonnier, car ce sont les mégabanques et les grands réseaux mondiaux de cartes de crédit qui sont à l’origine de ces frais très élevés. Au Canada, les commissions
d’interchange sont parmi les plus élevées au monde, ce qui représente des milliards de dollars par an pour les commerçants. Ce fardeau financier est particulièrement lourd pour les petites entreprises, qui ont souvent du mal à absorber ces coûts et à comprimer des marges déjà serrées afin de ne pas répercuter ces coûts sur les consommateurs.
Aux États-Unis, la situation est similaire à celle du Canada. Les deux pays sont aux prises avec des frais
d’utilisation élevés et les pratiques monopolistiques de Visa et de Mastercard, qui contrôlent plus de
80 % du marché des cartes de crédit. L’absence de concurrence dans ce domaine a entraîné une augmentation constante des frais d’utilisation qui ont plus que doublé au cours de la dernière décennie, pour atteindre 160,7 milliards de dollars en 2022 aux États-Unis. Mais le plus absurde, c’est que 93,2 milliards de dollars de ce total sont versés à Visa et Mastercard, un montant qui a triplé depuis 2010.
L’industrie des cartes de crédit présente les commissions d’interchange comme une dépense interentreprises ayant peu d’impact sur les acheteurs. Cependant, avec un taux de 1 à 4 % de chaque transaction appliqué à des millions de transactions quotidiennes, ces frais s’accumulent rapidement
et deviennent le coût d’exploitation le plus élevé de la plupart des commerçants, après la main-d’œuvre.
Les mégabanques et les sociétés émettrices de cartes de crédit réalisent des bénéfices sur le dos des détaillants et des clients que nous servons, en particulier en période d’inflation. Les consommateurs en paient le prix, que ce soit pour les ustensiles de barbecue, les pains à hamburger ou tout ce qu’il y a entre les deux, même dans le cas des transactions en espèces. Les frais d’utilisation excessifs et anticoncurrentiels nuisent aux acheteurs, aux petites entreprises et même à l’économie dans son
ensemble, puisque le commerce de détail en est un élément essentiel.
Pour aggraver la situation, ces réseaux imposent aux marchands une politique du « tout ou rien », les obligeant à accepter toutes les cartes du réseau ou aucune. Cette pratique empêche les banques et les commerces d’utiliser d’autres réseaux, potentiellement moins chers et plus sûrs, ou même d’accorder aux clients une réduction pour l’utilisation d’une carte dont les frais sont moins élevés. Ces sociétés fixent les commissions d’interchange de manière centralisée et n’offrent pas la transparence nécessaire pour
négocier. Un tel contrôle sur un marché va à l’encontre des principes de concurrence et d’équité qui sont
au cœur des valeurs des Canadiens et des Américains.
Les commerçants, les groupes de consommateurs et les législateurs ont à maintes reprises exhorté Visa
et Mastercard à contenir leurs taux. Cela fait un peu plus d’un an qu’un accord entre le gouvernement
fédéral canadien, Visa et Mastercard vise à résoudre ce problème, mais malheureusement, il est loin
d’être satisfaisant, en particulier pour les épiciers.
L’accord plafonne les commissions d’interchange à 0,95 % pour les entreprises admissibles, ce qui
représente une baisse par rapport à la moyenne précédente de 1,4 % pour les transactions de Visa au Canada. On pourrait penser que c’est une victoire, mais il en va tout autrement si l’on y regarde de plus près. La portée est limitée aux entreprises dont les ventes Visa annuelles sont inférieures à 300 000 $ et dont les ventes Mastercard sont inférieures à 175 000 $. Cette baisse est donc négligeable pour de nombreux détaillants, notamment ceux qui dépassent ces seuils. Aux États-Unis, les réseaux de cartes et les banques résistent farouchement à une législation qui exigerait simplement davantage de concurrence en imposant un deuxième réseau de paiement pour certaines cartes.
Les États-Unis et le Canada sont confrontés à des défis parallèles en ce qui concerne les frais d’utilisation
des cartes de crédit. Les deux pays ont besoin de solutions globales qui répondent véritablement aux besoins de toutes les entreprises, en particulier les petites entreprises indépendantes qui constituent l’épine dorsale de nos économies.
Perspective du Canada
Par Gary Sands Vice-President, Fédération canadienne des épiciers indépendants
Cela fait maintenant un an que le gouvernement du Canada a annoncé une « réduction significative » des
frais d’interchange pour les cartes de crédit. L’ADA et le CFIG ont fait pression sur le gouvernement pour
l’obtenir. Mais c’est la migration massive des paiements en espèces vers les paiements par cartes de crédit et sans contact lors de la pandémie de COVID-19 (à la grande joie des banques et des sociétés émettrices de cartes) qui a fini par convaincre Ottawa qu’il fallait aller plus loin.
CE « PETIT PLUS » A PRIS LA FORME DE L’ANNONCE ET DE L’ENGAGEMENT SUIVANTS POUR LE BUDGET DE 2021 :
La pandémie a entraîné une augmentation rapide et importante des transactions électroniques et
en ligne. Les petites et moyennes entreprises doivent payer des frais pour ces transactions, aussi appelés frais d’interchange, qui sont parmi les plus élevés au monde. Le gouvernement collaborera avec les principaux acteurs pour atteindre trois objectifs :
– Réduire le coût total moyen des frais d’interchange pour les commerçants.
– Veiller à ce que ces établissements bénéficient d’une tarification semblable à celle des grandes
entreprises.
– Protéger les points récompense existants des consommateurs.
Alors que les libéraux avaient également promis, lors de la dernière campagne électorale, de mettre un terme aux pratiques cupides consistant à faire payer aux détaillants des commissions d’interchange sur la partie des transactions soumise à la TVH et à la TPS, les engagements susmentionnés pris dans le cadre du budget de 2021 ont rendu l’abandon de la promesse relative à la taxe d’interchange moins choquant.
Dans ce contexte, l’annonce de l’été dernier selon laquelle seules les entreprises réalisant moins de 300 000 $ de ventes par cartes de crédit Visa et moins de 175 000 $ de transactions par cartes Mastercard pouvaient bénéficier d’une réduction eût été risible, si l’abordabilité des produits alimentaires et la capacité des épiciers indépendants n’étaient pas en jeu. Dans un secteur à fort volume et à faible marge comme celui de l’épicerie de détail, aucun épicier indépendant au Canada ne pourrait bénéficier d’une réduction des frais d’interchange fondée sur ces seuils minuscules. La ministre des Finances, Mme Freeland, n’a fait aucune mention des seuils dans le budget de 2021 en promettant simplement de veiller à ce que toutes les petites et moyennes entreprises bénéficient de frais d’interchange réduits, « similaires» à ceux des entreprises comme Walmart et Costco. Le fait que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et Restaurants Canada aient approuvé cette traîtrise et la réduction sans conséquence des frais est pour le moins curieux.
La lutte pour la réduction des répercussions, pour plus d’équité et de transparence dans le secteur
opaque des paiements, ne peut tout simplement pas s’arrêter tant que ces objectifs ne sont pas atteints. C’est une bataille que le CFIG et l’ADA devront poursuivre.
Il devrait incomber au gouvernement, quel qu’il soit, d’examiner toutes les mesures qui peuvent aider à soutenir les petites et moyennes entreprises, mais en particulier les épiciers indépendants du Canada. Dans une myriade de communautés semirurales, rurales et éloignées du Québec et de tout le pays, où il n’y a pas de géants de l’alimentation au détail, les indépendants sont des piliers essentiels du maintien de la sécurité alimentaire.
En outre, si la hausse des coûts s’est répercutée sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, ces coûts sont disproportionnellement plus élevés pour les épiciers indépendants
qui ne disposent pas de l’influence des grandes chaînes pour négocier les prix et les frais.
Par une ironie du sort, un mois après l’annonce sur l’interchange par Ottawa, reconnaissant le paysage
inégal dans lequel les indépendants sont en concurrence, le Bureau de la concurrence a finalement publié son étude tant attendue sur le secteur de l’épicerie. L’une des principales recommandations du Bureau
concernait la nécessité pour les gouvernements de soutenir davantage les épiciers indépendants du Canada.
Les indépendants doivent composer avec une pléthore de règlements fédéraux et provinciaux, la montée
en flèche des coûts de l’énergie et du transport, les problèmes de main-d’œuvre et les pressions constantes dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, notamment les augmentations incessantes des prix des fournisseurs.
Alors que le gouvernement fédéral a passé beaucoup de temps à vanter les avantages de son « remboursement pour l’épicerie » l’an dernier, ces mesures temporaires sont bien pâles en comparaison d’une réduction réelle et significative des commissions d’interchange qui permettrait d’aider les épiciers indépendants à faire de leur mieux pour gérer la hausse des prix des denrées alimentaires. Ils continueraient ainsi à embaucher dans la région, à acheter des produits locaux et à demeurer un élément essentiel des collectivités du Québec et du Canada. Il ne fait aucun doute que le fait que les banques et les sociétés émettrices de cartes de crédit siphonnent 10 milliards de dollars ou plus en frais de transaction a un impact sur les prix pour les consommateurs dans de nombreux secteurs.
De plus, ces réductions ne coûteraient pas un centime aux contribuables. Autre mensonge avancé par les
banques et des sociétés émettrices de cartes : une réduction des frais d’interchange menacerait le
cumul de points récompense des consommateurs. Si c’était le cas, pourquoi un consommateur reçoit-il exactement le même nombre de points pour un achat effectué, par exemple, dans un magasin Walmart,
où les frais sont moins élevés, que s’il faisait cet achat dans une épicerie indépendante? Selon l’argument
avancé par la clique des prestataires de paiement, le consommateur devrait recevoir moins de points pour
l’utilisation de sa carte de crédit dans une chaîne de magasins, puisque ses frais d’interchange sont moins
élevés. À l’inverse, les achats dans une épicerie indépendante devraient rapporter beaucoup plus de points au consommateur.
Il est plus que temps pour le gouvernement du Canada d’honorer sa promesse initiale et de mettre fin à la lutte sisyphéenne que le CFIG et l’ADA ont menée pour parvenir à l’équité dans le secteur des paiements.
Alors que certains ont fait valoir que les taux d’interchange pour les grandes, moyennes et petites entreprises devraient être identiques, la plupart des épiciers indépendants accepteraient
l’engagement des gouvernements de rendre au moins ces frais « similaires ».
Une différence de frais pour un même achat effectué avec la même carte ne devrait pas dépendre de l’endroit où le client fait ses achats.
Notre combat pour une simple équité dans ce secteur monolithique des paiements a été long. Cependant, comme l’a dit Martin Luther King, « l’arc de l’univers moral est long, mais il tend
vers la justice ».
Un jour, nous verrons le gouvernement du Canada s’engager dans cette voie. Il le doit. Pas seulement pour les épiciers indépendants d’aujourd’hui, mais pour ceux de demain. L’équité et la justice
dans le secteur des paiements seront notre héritage.